top of page

Alive

Contextualisation et narration

Une entrée à mobiliser lorsque l’on questionne le citoyen et la ville intelligente est celle de l’utilisation du corps citoyen numérique et numérisé au « service du bien ». J’ai eu l’occasion de développer ce sujet en 2015, lors de la résidence « Ville numérique et agriculture bio-high-tech » (Paris).

 

Le jour suivant les attentats de Charlie Hebdo, l’immeuble dans lequel je me trouvais s’est retrouvé encerclé par la police, armes pointées en direction du périphérique. Confinée dans l’appartement de mon amie, j’ai attendu durant une matinée l’arrivée des frères Kouachi, Porte de la Villette. Le 13 novembre, après l’attaque du Bataclan, habitant à quelques stations de métro, j’ai vu et entendu le balai incessant des ambulances et des pompiers, jours et nuits. Pendant trois jours, mes amis me racontèrent qu’ils connaissaient un, deux morts ; une amie me confia en détail ce qu’elle avait vu ce soir-là et de quelle manière elle avait dû enjamber les corps morts et blessés pour se mettre à l’abri. Je me suis alors posée une question : les événements graves causés par la nature ou par l’humain, touchent beaucoup de citoyens. Comment le citoyen peut-il agir et devenir acteur de son futur ? Pouvons-nous utiliser les Nouvelles technologies de l’information et de la communication pour aider notre prochain ?


En réponse à ces événements et aux questions qu’ils ont soulevés, j’ai consacré le temps de la résidence à l’expérimentation artistique intitulée Alive. L’enjeu était de trouver une solution afin de sécuriser les citoyens et de leur redonner du pouvoir en territoire hostile. Partie intégrante du projet HDS-Human Digital System, Alive a pour point de départ un récit d’anticipation :


Chères citoyennes,
Le Power of the Femal Citizen (PFC) s’est à nouveau mobilisé afin d’améliorer votre quotidien. La planète subit une multitude de séismes et de tornades ces derniers mois et les attentats isolés ont également progressé aux quatre coins du monde. Or, depuis cinquante ans nous mettons un point d’honneur à garantir au maximum la sécurité des citoyennes, notre sécurité. Nous devons pouvoir secourir notre prochain, sans faire appel à la Federal Word Gouvernement. C’est pourquoi le 29 janvier 2071 nous allons vous transmettre un lien qui apparaitra à droite de votre écran oculaire. Un clignement d’oeil suffira à télécharger l’application que nous venons de mettre au point. Alive sera le lien entre la cellule d’urgence citoyenne et votre puce symbole de notre rébellion.
Ensemble nous sommes plus fortes,
Power of the Femal Citizen
Le 22 décembre 2070

 

Individualisme démocratique

 

Le PFC est un Groupe international de féministes-activistes-citoyennes, réunissant la technique (développeuses, mathématiciennes, ingénieures, hackeuses) et la créativité. Héritier des prises de pouvoir démocratique et citoyenne des décennies précédentes, il se veut l’héritier d’une démocratie arrivée à son paroxysme, ayant pour conséquence première la progression massive d’un individualisme d’un nouveau type, nommé individualisme démocratique : « d’un côté, il est inséparable de l’idée d’émancipation et de liberté ; de l’autre, il est amené à s’isoler de ses semblables, à se désinvestir des affaires publiques et a tendance à se croire désaffilié et totalement indépendant. » (1)

 

Face à cet individualisme extrémiste de la fin du XXIIe siècle, doublé d’un gouvernement mondial dominant, un grand nombre de citoyennes habituées depuis des siècles à revendiquer leurs droits de femmes, rentrent en résistance en s’octroyant, cette fois-ci, la liberté de reprendre leurs droits citoyens. Néanmoins, il ne s’agit plus d’associations ou de Community organizing (2), agissant légalement, mais de groupuscules invisibles, rentrés par défaut en opposition contre la Federal World Gouvernment. Leur démarche se situe au-delà d’une volonté démocratique : il s’agit d’une lutte pour donner les pleins pouvoirs aux citoyennes. Cette démarche peut poser une problématique majeure. L’action de se rassembler entre femmes, de créer une communauté usant des pleins pouvoirs technologiques et des modèles stratégiques gouvernementaux, est-elle la preuve d’une indépendance intellectuelle citoyenne ?

 

Alive est une application oculaire permettant aux citoyennes de l’activer à tout moment, afin de secourir une personne blessée, en pratiquant les gestes de premiers secours, grâce à la « docteure-hologramme » — descendant de la télémédecine. La puce citoyenne sous-cutanée, connectée à la cellule d’urgence du PFC, détecte les émotions, les pulsations du coeur, la respiration, l’activité de l’épiderme, etc. Dorénavant, les citoyennes peuvent reprendre possession de leur futur et décider de la manière dont ils veulent utiliser les avancées technologiques. Elles font appel à leurs sensations et à leur humanisme trop longtemps piétiné par la FWG. Cependant, fait paradoxal, le projet Alive prend la forme d’un rapport officiel gouvernemental.

 

Pourquoi le Power of the Femal Citizen, utilise les mêmes techniques communicationnelles que la FWG, alors que son existence émane d’une révolte contre ce même système ? Ne pouvons-nous pas y voir une limite ? Nous nous posions antérieurement la question du degré d’intégration de l’ingénierie sociale au sein des mécanismes de pensées ; penser une révolte citoyenne est-il un leurre ? Cette révolte ferait-elle partie intégrante d’un système central, duquel il est impossible de sortir, ni psychologiquement, ni émotionnellement, ni techniquement ?

 

Malgré son caractère spéculatif, l’expérimentation artistique Alive met le doigt sur une problématique qui a vu le jour depuis les attentats de Charlie Hebdo ; à savoir la dépossession de nos corps, de nos émotions, de nos mobilités et identités, à travers un environnement urbain de plus en plus extrême, entraînant la sécurisation de tout et de tous, provoquant une réaction en chaîne à laquelle les pays et les villes occidentales n’étaient pas préparés : les hotspots urbains, extension des hotspots migratoires.

 

(1) Jean-Pierre Le Goff, Malaise dans la démocratie, Essais - Documents (Paris: Stock, 2016), page 23.

(2) « Dans le Community organizing, la communauté est l’espace de mobilisation, mais a aussi un sens social et politique […] ». In Hélène Balazard, Agir en démocratie (Ivry-sur-Seine: Editions de l’Atelier, 2015), page 24.

bottom of page